Nouvelles Nouvelle : Le voile de soie

Nouvelle : Le voile de soie

« Ouvre, ouvre donc cette porte ! », lui cria-t-elle dans le couloir froid aux carreaux de ciment.

La maison, emmitouflée dans son silence, était jonchée au sommet du village. Depuis la fenêtre du grenier, il était possible d’apercevoir les contreforts des Pyrénées, dont les hauteurs se laissaient happer par d’épais nuages cotonneux.

Ce matin, Gabrielle oubliait le cadre paisible et majestueux et se retrouvait devant une porte, pas n’importe quelle porte, celle de sa chambre.

Elle s’impatientait ne pouvant pénétrer dans son antre, mais ce qui l’inquiétait le plus, c’était le calme qui semblait y régner.

Jeune adulte espiègle, elle se baissa et entraina un œil indiscret dans le trou de la serrure. Celui-ci lui sembla gigantesque, au point de pouvoir rassembler tout son regard dans cet espace fait d’interdit et de désir. Voir, sans être vue, épier sans être surprise. Mais à l’autre bout, le noir, un noir absolu, sans aucun filet de lumière.

S’en était de trop, elle commença à tambouriner, et interpeller Cyril, qui d’autre pouvait si trouver ? « Ouvre, ouvre dont !, c’est ma chambre, je dois m’habiller et partir ! ».

Une voix déchira l’épaisse tranquillité, et esquissa un discret « je viens !! ».

Penaud, Cyril, entrebâilla la porte de la chambre sombre et moite, contrastant avec le glacé du couloir. Du haut de son un mètre soixante quinze et de ses quinze ans, sa candeur d’enfance subsistait. Gabrielle, trépignait, s’agaçait, vociférait, attendait des explications. Mais lorsqu’elle ouvrit bruyamment les lourds pans des rideaux, elle ne put s’empêcher de crier !

Le lit était jonché de tous ses vêtements, répandus pêle-mêle, les deux armoires totalement vidées.

Cyril, les lèvres maquillées d’un rouge extravagant, débordant ses commissures, les pommettes colorées d’un rose vif,  était vêtu du voile de soie qu’elle aimait porter l’été, au-dessus d’un maillot de bain.

Gabrielle était consternée, et en même temps, ne put s’empêcher de laisser sortir un rire bien gras, dont elle avait le secret, un de ces rires que l’on n’oublie pas, un mélange de Castafiore et de vendeuse de poisson en fin d’étal.

Elle riait, riait tant, que Cyril, s’affaiblissait, se ratatinait sur le petit fauteuil devant la coiffeuse où il avait pris grand soin de se grimer.

Subitement, Gabrielle cessa son rire, et attendit quelques instants, pour lui laisser un temps d’explication. Mais rien ne vint. Que pouvait dire Cyril, que pouvait-il traduire de ce qu’il venait de faire ?

Vivement, elle se leva et distinctement hurla à Cyril « tu as une heure, pas une de plus ! ».

La lourde porte de bois claqua, Gabrielle ne put alors retenir sa hargne et libéra tout ce qu’elle n’avait pu dire, ni oser dire à Cyril. La maison, habituellement muette, offrit sa résonance pierreuse aux propos de Gabrielle, puis se tut.

Cyril se regarda à la lumière du jour, hésitant pourtant, confondu dans son jeu sans calcul. Envahi par l’ennui de ces journées sans amitié, il venait de créer une scène improbable. Il entrait dans une histoire travestie par son imagination féconde, qui le fit sourire.

D’un bond, se découvrant félin, il se jeta sur les cotons de démaquillage et se frotta vigoureusement le visage pour ôter son grimoire. Puis, il scruta les vêtements entassés les uns sur les autres, jetés à la hâte quelques minutes auparavant. Parmi cette montagne de tissus, il avait laissé glisser ses doigts dans les matières, tel un chercheur d’or en quête d’une pépite. Lorsque ses mains s’étaient posées sur la soie, le tissu précieux l’avait fait frissonner. Il s’était dévêtu et avait fait glissé le voile  sur son corps. 

Rien n’égalait cette sensation vaporeuse, cette perception subtile d’être, à peine vêtu, exposé dans la transparence d’une mousseline légère. Cyril découvrait une sensation nouvelle et s’en était délecté, bien loin d’imaginer les conséquences de son acte.

Le temps filait et l’heure que Gabrielle lui avait consentie, allait fondre si vite. Ranger, un à un, les vêtements sur les cintres, les enfourner dans les deux armoires épaisses, claquer la porte et s’enfuir loin, était l’un des scénarios possibles. Mais il se ravisa, décida plutôt de laisser libre cours à son esprit méthodique teinté d’inventivité. Comme pour témoigner à Gabrielle son repentir, il se lança un défi, celui de ranger par couleur la garde-robe. Soulevant un à un les vêtements, le noir semblait traverser toutes les tenues, un noir intense, parfois mat, parfois brillant, mais inexorablement noir.

Que pouvait ressentir Gabrielle pour ne se vêtir qu’autour de cette teinte ?.Une émotion de peine piqua son cœur, il ne savait que répondre. Ils se connaissaient si peu.

Rien de commun ne semblait les unir. Qu’avait-il à partager avec cette sœur de dix-neuf ans dont la mère avait rencontré son père lors du bal de campagne, un soir de 13 juillet ? Dans le village de Montferrand accroché à la colline, la maison abritait la nouvelle union et les deux enfants étaient entrés dans une vie qu’ils n’avaient pas choisie.

Se ressaisissant, Cyril extrapola une autre approche en optant pour un rassemblement par genre, les pantalons ensemble, les vestes, puis les robes, les jupes en terminant par les hauts.

C’est de cette façon qu’il imaginait l’habillement des filles !

Son tri commença mais s’arrêta tout aussitôt, ne trouvant que des pantalons et des hauts. Alors il tenta une dernière hypothèse, associer chaque haut à son bas.

Les longues pattes fuselées trouvaient à  côtoyer les blouses à jabot, les ponts se rapprochaient des marinières courtes laissant imaginer un nombril exhibé, les éléphants convolaient avec les broderies finement tissées et enfin les tailles basses s’acoquinaient avec les hauts chics et sages.

Lorsque l’heure arriva à sa fin, il était assez content de son travail et s’assit sur le fauteuil.

De longues minutes s’écoulèrent, Gabrielle ne revint pas.

Cyril sortit, alors, de l’épaisse demeure, le soleil flamboyant lui offrait une lumière intense et soudaine, contrastant avec le noir de la garde-robe qu’il venait de ranger. Il s’installa sur le banc dont les pierres étaient chaudes et attendit Gabrielle.

Elle arriva en lui lançant, « alors, t’as réparé !! ». Il la regarda, satisfait. « Oui, dit-il, et c’est encore mieux qu’avant ! ». « Mieux qu’avant, que veux-tu dire ? ».

Puis, il se tut, ne trouvant aucune explication à donner.

Gabrielle rentra et se dirigea vers sa chambre puis ouvrit les portes des armoires. Elle observa l’organisation de Cyril et sourit, sentant que ce bout de frère avait du bon sens.

« Cyril, Cyril, viens ! ». Cyril la rejoignit, espérant une remarque, un petit signe qui leur permettrait de se connaître davantage.

« Raconte-moi », lui demanda Gabrielle.

« J’ai cherché les couleurs, puis les genres, et enfin je me suis arrêtée sur les associations de tenue. Je n’ai vu que du noir, des pantalons et des hauts. Alors je les ai mariés. »

Gabrielle était touchée par ce que lui disait Cyril, des larmes coulèrent sur ses joues. Elle avait opté pour le noir car elle trouvait que cela faisait oublier ses rondeurs.

« Où as-tu appris à combiner les matières ?. Je trouve tes propositions étonnantes et cela me donne de nouvelles idées pour m’habiller ».

Gabrielle mit sa main sur l’épaule de Cyril et l’embrassa. Ils commençaient juste à se rencontrer.

Concours de nouvelles Juillet 2020

Leave a Reply